Madame Bintou Boli/Djibo est Présidente de l’Association des Centres africains d’arbitrage et de médiation (ACAM), Secrétaire Permanente du CAMC-O, Commandeur de l’Ordre de l’Etalon.

1. En qualité de Présidente de la ACAM, quelle est votre réaction suite à la décision des pays membres de l’OHADA de créer un 10ème acte uniforme sur la médiation (AUM) ? Quels changements le nouveau texte va-t-il désormais apporter sur les activités des centres de médiation ?

En ma qualité de Présidente de l’Association des Centres africains d’arbitrage et de médiation, d’experte en stratégie de développement des Centres, d’enseignante formatrice en médiation, de médiatrice professionnelle et ayant parfois eu la chance de participer aux débats nourris qui ont abouti à la l’adoption d’un Acte spécifique sur la médiation, je ne peux que m’en réjouir.

Le Législateur OHADA, ayant cerné l’importance de la médiation, a comblé un vide juridique et ainsi donné du poids à ce MARL. Nous avons accueilli cette décision avec une grande reconnaissance. En effet, la médiation était considérée dans l’espace OHADA comme  » le parent pauvre », comparativement à l’Arbitrage qui est mieux ancré dans les habitudes des milieux d’affaires.

Le nouveau texte apportera une vision nouvelle en encadrant la pratique de la médiation de manière uniforme dans tout l’espace. Il constituera un socle qui donnera une plus grande envergure à la médiation. Car, en dehors de trois pays qui s’étaient dotés de textes législatifs en la matière, les autres Centres faisaient déjà de la médiation sans texte particulier, ce qui ne facilitait pas le développement de la médiation.

Je remercie et félicite l’OHADA pour l’avènement d’un Acte spécifique sur la médiation qui, pour moi est un signal fort donné sur l’importance de la médiation comme un mode à part entière de résolution de litige. Grand changement : désormais tous les 17 Etats membres de l’OHADA sont dotés d’une loi supra nationale sur la médiation. De plus les litigants sont rassurés.

2. Quel bilan faites-vous sur la pratique de la médiation des affaires en Côte d’Ivoire et plus particulièrement et plus particulièrement au Burkina Faso?

Dans l’ensemble, le bilan de la médiation est mitigé malgré les efforts multiformes des Centres pour développer la médiation. Cette pratique a longtemps été désavantagée car dans l’inconscient collectif elle est attachée au domaine informel. Il existe encore des pesanteurs qui restent des freins, notamment la valeur de la médiation comme mode de résolution de litige, le manque de formation de certains praticiens du droit qui ont besoin de maitriser leur rôle en médiation au risque de la faire échouer. Accepter de venir en médiation est un acte volontaire, sans aucune contrainte. Le médiateur n’a aucun pouvoir contraignant. En dépit de cela, certains Centres sont de plus en plus saisis et cela apporte une plus-value à l’activité du Centre et surtout permet aux litigants d’appréhender autrement la médiation. La perception de la médiation comme mode faible fait place à une perception meilleure comme processus encadré et adossé à la loi. Au Burkina Faso, la médiation se porte bien, le Centre est régulièrement saisi avec ou sans clause de médiation de dossiers à enjeux financiers variés et la plus part des parties sont satisfaites.

3. En tant que secrétaire permanente du centre de médiation de Ouagadougou, aviez-vous eu l’occasion de faire face à certaines difficultés en matière de médiation, qui pourront désormais être facilement résolues avec le nouvel AUM ?

Avant l’avènement de l’acte Uniforme, et surtout lorsque le Burkina Faso n’avait pas encore légiféré en matière de médiation, la grosse difficulté était la limite de notre discours lors des tournées de sensibilisation, c’est-à-dire la problématique de l’exécution de l’accord. Nous avions des difficultés à faire appliquer les accords de médiation passés entre les parties, surtout quand la mauvaise foi d’une partie s’y invitait. L’homologation des accords posait problème parce qu’il fallait retomber dans le circuit juridictionnel, notamment aller devant le juge, la solution ne se retrouvant que dans le Code de procédure civil. Aujourd’hui ce problème n’existe plus car l’Acte uniforme donne le choix d’homologuer l’accord soit par devant le juge ou par devant un notaire. L’autre difficulté majeure résidait dans la limite du rôle du médiateur qui ne pouvait pas proposer de solution, il n’était qu’un accompagnateur. L’Acte uniforme donne la possibilité au médiateur d’être un conciliateur, donc de proposer une solution dans les conditions prescrites, ce qui lui donne plus de pouvoir.

4. Quels sont les premiers impacts de l’AUM sur vos activités de médiation depuis son entrée en vigueur ?

A n’en point douter, l’AUM va booster le niveau de saisine du CAMC-O et fortifier l’ACAM. Je vous laisse juger vous-même en fonction des statistiques : sans l’AUM en 2017, 15 dossiers ont été enregistrés avec un montant en litige de 1 568 206 093. Avec l’AUM en 2018, 45 dossiers ont été enregistrés, avec un montant en litige de 15 809 818 189, soit un taux de progression de 75%

5. Le texte de l’AUM va t il facilement pouvoir être appliqué par les Centres et rentrer dans la réalité des justiciables ?

D’aucuns diront que l’AUM, tel quel, ne renseigne pas suffisamment sur l’étendue de la médiation mais pour moi c’est un pas de géant qui est fait, tout texte étant perfectible à l’application et dans le temps. Ce texte nous permet d’harmoniser notre définition de la médiation. Il fixe les grands principes de la médiation, donne la possibilité de la suspension du délai de prescription de l’action du fait de l’ouverture d’une procédure de médiation, consacre la force obligatoire d’une clause obligeant les parties à engager une médiation préalablement à toute action judiciaire ou arbitrale. Toutes ces dispositions sont utiles et ne peuvent que favoriser l’expansion de la médiation. Toutefois, c’est vrai qu’il est muet sur la formation du médiateur et n’approfondit pas les missions de médiateur, mais pour le moment je ne ressens qu’un motif de satisfaction quant à son existence à un moment où le législateur OHADA peine à légiférer sur certaines matières. L’AUM vient régler l’essentiel des problèmes des Centres en matière de médiation.